Il faut un appétit de titan pour manger la nuit et nous l’avons.
La société a trouvé le moyen de supprimer le sommeil. Les hommes et les femmes pourront prendre une pilule qui leur permettra de ne dormir que quarante-cinq minutes, tout en étant parfaitement reposés. Ceux-ci “gagneront” alors quasiment onze heures à occuper.
Le monde se prépare à ce changement. Lors de la grande fête d’adieu de la dernière nuit du vieux monde, un homme apprend que la femme qu’il aime “ne passera pas la nuit”. C’est ce que les médecins de l’hôpital lui disent. Cette nuit de fête est donc pour lui une nuit d’errance et de vertige.
Par la suite, il découvrira que les choses n’étaient peut-être pas aussi rationnelles que ce que les médecins disaient : ce n’est pas elle qui n’a pas passé la nuit. Elle n’a pas voulu vivre sans nuit et elle a emmené la nuit avec elle…
À travers cette pièce, douce et mélancolique, Laurent Gaudé s’inscrit dans une réflexion qui a, de tout temps, parsemé le monde de la pensée philosophique et l’univers artistique : celle du rapport de l’homme à ses nuits, et par là même à son inconscient, ses fantasmes, ses désirs et ses rêves. Dans la lignée de ses prédécesseurs, mais par le biais d’une approche singulière et originale, il rappelle l’importance et la nécessite de protéger le dernier espace de pleine liberté de l’homme : son sommeil, ses rêves, ses nuits.
Emmener les enfants à l’école à deux heures du matin,
Faire ses courses en pleine nuit,
Tout cela sera bientôt possible.
Cinquante-quatre pays ont signé le protocole de la nuit fragmentée…
États-Unis, Europe, Russie, Japon, Chine, Brésil, Inde…
La plupart des grands pays de la planète vont tenter de relever ce défi :
Peupler la nuit pour désengorger le jour.
Der Tag auch nachts.
Le compte à rebours est lancé.
La ultima noche se acerca…
Le monde retient son souffle.
Feux d’artifice, bars, carnavals, concerts géants…
Vu les préparatifs qui ont lieu dans chaque grande ville, tout laisse à penser que cette dernière nuit sera blanche !
J’y ai cru, moi.
À toute force.
J’avais hâte.
On avait tous hâte.
C’était bel et bien sur le point de se produire. Tout s’échauffait,
Tout trépignait,
Mais toi, pas, Lou.
Tu as toujours su voir derrière la joie.
Ça, je m’en souviens parfaitement,
Cette façon que tu avais, dans les expressions de ton visage, de te tenir éloignée de notre joie.
Et peut-être même, si j’y avais prêté plus d’attention, cette façon que tu avais de porter ta colère au fond des yeux.
Mais qui avait le temps de sonder ton regard, Lou ?
Qui se souciait des réticences, des mises en garde ?
Le décompte était lancé.
Tout vibrait d’impatience.
Il n’y avait que toi qui ne bougeais pas.
Tu te souviens, Lou ?