Voilà, je suis le dernier des hommes.
C’est le siège d’une ville. Bombardements. Asphyxie. Incendies. Il pleut sur les maisons. Une pluie de cendres qui embrase le ciel et ensevelit les décombres.
Les habitants savent que la fin est proche et la défaite inéluctable. Tout le monde continue à vouloir se battre, sous les yeux de Korée, le regard de la ville, pour ne rien céder à l’ennemi. Tout le monde, sauf Ajac, l’amant de Korée. Lui ne prend pas part au combat. Il ne porte pas d’arme. Il rôde la nuit, dans les ruines, arpentant les rues, creusant dans les gravats. Il a décidé que cette ville ne lui était rien et que son combat était ailleurs. Il a décidé qu’il soustrairait celle qu’il aime à l’incendie.
Ajac : Voilà, je suis le dernier des hommes. Ils vont venir maintenant. (il arme son pistolet). La nuit tombe. Ils vont bientôt descendre des collines parce qu’ils ne peuvent pas s’en empêcher, parce qu’ils attendent cela depuis longtemps. Ils vont descendre avec la rage de piller et ils seront pris au piège. Je connais la ville. La nuit, ici, je suis invincible. Ils vont déferler sur la ville sans que plus aucune digue ne puisse les contenir. Il n’y a plus qu’Ajac, le lâche, le rat, qui sera là, pour les attendre. Tu avais raison Korée, il n’y avait que toi qui pouvais faire cela, me tuer ainsi. Je suis le dernier des combattants, et je vais les attendre pour en tuer le plus grand nombre, je suis le dernier et je serai le seul à n’avoir personne pour prendre soin de mon corps. Je suis le dernier et ils seront encore beaucoup à tomber sous mes coups. Je vais me battre, dans cette pluie de feu, au milieu de cette nuit qui tombe et que je connais bien, je vais partir à la chasse, et les proies seront innombrables. Ils ne m’attraperont pas. Car, de la ville, je connais chaque pierre et chaque recoin, et leur sang bientôt coulera dans les rues comme un grand fleuve impétueux. Je suis le dernier, tu as fait de moi le dernier, Korée, je ne suis plus qu’un poing serré sur une arme.
2001 : Création dans une mise en scène de Michel Favory au Studio de la Comédie française.