« Nous l’Europe. Banquet des peuples » paru chez Actes Sud (2019). L’Europe, l’ancienne, celle d’un Vieux Monde bouleversé par la révolution industrielle, et l’Union européenne, belle utopie née sur les cendres de deux grandes guerres, sont l’alpha et l’oméga de cette épopée sociopolitique et humaniste en vers libres relatant un siècle et demi de constructions, d’affrontements, d’espoirs, de défaites et d’enthousiasmes. Un long poème en forme d’appel à la réalisation d’une Europe des différences, de la solidarité et de la liberté. Ce que nous partageons, C’est d’avoir traversé le feu, D’avoir été, chacun, Bourreau et victime, Jeunesse bâillonnée et mains couvertes de sang. Ce que nous partageons, C’est l’humanisme inquiet. Nous savons ce que l’homme peut faire à l’homme, Nous connaissons l’abîme, Nous avons été avalés par sa profondeur. L’Europe, c’est une géographie qui veut devenir philosophie. Un passé qui veut devenir boussole.
« De sang et de lumière » paru chez Actes Sud (2017). Ces poèmes engagés à l’humanisme ardent, à la sincérité poignante, se sont nourris, pour la plupart, des voyages de Laurent Gaudé. Qu’ils donnent la parole aux opprimés réduits au silence ou ravivent le souvenir des peuples engloutis de l’histoire, qu’ils exaltent l’amour d’une mère ou la fraternité nécessaire, qu’ils évoquent les réfugiés en quête d’une impossible terre d’accueil ou les abominables convois de bois d’ébène des siècles passés, ils sont habités d’une ferveur païenne lumineuse, qui voudrait souffler le vent de l’espérance. En plus de la crasse sur nos pieds, De nos traits tirés de nuits pas dormies, En plus de nos corps secs, Osseux et courbés, Il y a le temps que l’on nous a volé. En plus de chaque matin de grimace, Où l’on s’étire déjà fatigué, Il y a le temps que nous n’avons jamais eu. (…) Le poème « Et pourquoi pas la joie ? », extrait de De sang et de lumière, a été écrit à Port-au-Prince en janvier 2013.
« Ouvrez, cascades » a été publié dans le livre photo « Voodoo » de Gaël Turine, publié chez Lannoo ainsi que dans la revue IntranQu’îllités Numéro 3. « Nous,
L’un,
L’autre,
Une foule bientôt,
Sortant en plein jour,
Abandonnant la vie comme un habit que l’on enlève et laisse en poussière derrière soi,
Marchant tous vers un même point,
Sans un mot,
Se reconnaissant les uns les autres du regard,
(…) »
« Je suis le chien pitié » paru chez Actes Sud. Texte : Laurent Gaudé. Photos : Oan Kim Dans une ville dévastée ou l’ordre et la lumière semblent s’abolir, des êtres fantomatiques vaquent à d’incertaines activités dans des décors de fin du monde. Un homme – peut-être un survivant encore doué de raison – parcourt solitairement des rues en friche, des espaces urbains dépeuplés et comme souillés, s’interrogeant sur la disparition et l’abandon apparent de tout et de tous. Cette errance hallucinée va pourtant révéler petit à petit au marcheur des « formes » cachées, enfouies, presque invisibles à l’oeil pressé, qui s’avéreront être les présences et stigmates singuliers et tragiques d’une population oubliée. Laissant libre cours à sa douleur et à sa révolte, l’homme – mais s’agit-il encore d’un homme? – s’adresse alors à Dieu pour lui signifier violemment le constat de son incommensurable absence. « Je marchais, Sans joie ni tristesse, Les yeux grands ouverts Et la ville semblait devoir rester ainsi, Déserte et blanche. (…) »
« Croix des Bossales » a été écrit à Port-au-Prince en janvier 2013. Ce poème porte le nom du grand marché de Port-au-Prince qui fut autrefois, à l’époque des colons français, le marché aux esclaves. « Croix des Bossales, Fatras de couleurs, Les camions soufflent dans la poussière Mais les femmes, Sur leur tas de vêtements, Comme des reines endormies, Ne bougent pas, Ou s’appellent, En riant, Pour désarmer l’ennui. (…) »
« Jour démoli » a été écrit à Port-au-Prince en janvier 2013, suite à l’expulsion forcée des réfugiés de la place Saint Anne. «Le pain de Port-au-Prince, dès demain, sentira la misère des réfugiés, Sentira la violence des barres de fer, Sentira le tabac à priser que cette vieille grand-mère a posé sur la plaie de son petit-fils parce qu’elle n’avait rien d’autre à lui mettre pour le soulager des coups qu’il a reçu, Sentira aussi la colère muette de ceux à qui l’on dit de baisser les yeux et qui les baissent. (…) »
« Bahdina » a été écrit suite à un séjour au camp de Kawergosk, au Kurdistan irakien, en décembre 2013. « Notre victoire est d’avoir un peu chaud. Notre victoire est de trouver de quoi faire petit commerce, Et de déjouer le rien de l’ordinaire. Ne vous fiez pas à nos visages marqués, A nos regards de tourments, Nous voulons encore le bonheur (…) »
« Il y a un nom » a été écrit suite à un séjour au camp de Kawergosk, au Kurdistan irakien, en décembre 2013. « Il y a un nom qui m’attendait, Que j’ai appris à prononcer et que je connais maintenant : Kawergosk. Il est long comme ma peine. (…) »