Vendredi 13 novembre 2015, il fait exceptionnellement doux à Paris – on rêve alors à cette soirée qui pourrait avoir des airs de fête. Deux amoureuses savourent l’impatience de se retrouver ; des jumelles s’apprêtent à célébrer leur anniversaire ; une mère s’autorise à sortir sans sa fille ni son mari pour quelques heures de musique. Partout on va bavarder, rire, boire, danser, laisser le temps au temps. Rien n’annonce encore l’horreur imminente.
Laurent Gaudé signe, avec Terrasses, un chant polyphonique qui réinvente les gestes, restitue les
regards échangés, les quelques mots partagés, essentiels – écrit l’humanité qui éclot au cœur d’une
nuit déchirée par l’impensable. Et offre à tous un refuge, face à un impossible oubli.
« La journée passe. Pour nous tous. Bientôt, il sera difficile d’en dire quoi que ce soit. Nous oublierons les regards que nous avons échangés, les mots que nous avons adressés, les gens que nous avons vus. Nous oublierons si c’était une bonne ou une mauvaise journée. Mais pour l’heure, c’est un jour comme un autre – ce qui veut dire banal pour certains, extraordinaire pour d’autres. D’aucuns sont restés chez eux, d’autres ont raté leur bus, oublié leur rendez‑vous. Il en est qui se sont séparés, d’autres qui ont été déçus. Pour la plupart, nous avons travaillé, rêvé, mangé. Nous avons fait des projets. Un jour normal – ce qui veut dire que rien n’empêchait le cours de nos vies. Certains ont été chanceux, d’autres pas, mais ce n’est pas cela qui va marquer cette journée. Bientôt, nous oublierons parce que tout ce qui précède va être avalé par ce qui vient. C’est comme un trou noir en fin de journée qui va dévorer tout ce que nous aurons vécu pour arriver jusqu’à lui. Seul compte l’abîme. Et il est tout près. »